Annie Dheur : L’émotion à fleur de toile
Saisissantes, troublantes, poignantes… Les œuvres d’Annie Dheur nous bouleversent par leur expressivité, émanation douloureuse et obsessionnelle d’un univers spectral. Si elles libèrent brutalement une souffrance profonde qui leur confère une immense puissance émotionnelle, elles ont également un rôle de catharsis. Analyse…

Saisissantes, troublantes, poignantes… Les œuvres d’Annie Dheur nous bouleversent par leur expressivité, émanation douloureuse et obsessionnelle d’un univers spectral. Si elles libèrent brutalement une souffrance profonde qui leur confère une immense puissance émotionnelle, elles ont également un rôle de catharsis. Analyse…
L’émotion pure. Absolue. Comme devant Le Cri d’Edvard Munch. Et encore Le Cri, dans sa version la plus célèbre, atténue-t-il l’image de la douleur par l’apport de la couleur. Chez Annie Dheur, aucune concession à celle-ci : le noir et blanc ou le rouge et noir. Mais obstinément le noir, couleur du désespoir qui ponctue la plupart de ses créations… avec des titres lourds de sens, Translation, Apparition, Disparition, Contusions, qui viennent renforcer ces visions. Alors comment ne pas rester muet, médusé, devant ces formes fantomatiques, écrins déchirants de visages figés, aux traits indéfinis, aux yeux clos par la mort ou figurés par leurs orbites ? Des visages qui provoquent l’empathie et vous hantent…

Une exceptionnelle puissance évocatoire
Dans un style violemment émotif, Annie Dheur, en larges traits verticaux et horizontaux, à l’image de destins croisés mêlant passé prometteur et barrant le présent, exprime la souffrance de l’âme humaine dans une transréalité figurative proche de certaines œuvres de Francis Bacon. Elle tisse une sorte de toile sur la toile, de voile floutant la représentation parfois noyée d’abondantes larmes en coulures épaisses comme dans Blanc noir 2 ou Apparition disparition.
Ses tableaux ont la force d’imposer le silence, telle une religiosité de la douleur. Ils ont la puissance et l’expressivité de certains dessins de Goya.

Et, pour parachever ce cri de désespoir, en légende, un tableau intitulé Quoi de neuf ? découpé en deux zones : l’une "Rien", écrit à l’envers, nous invite presque à passer de l’autre côté de la vitre - donc de la toile - aux côtés de l’artiste, et l’autre, un fond noir, fait écho à son paysage intérieur. Juste un mot pour tout dire. Un privatif. Un mot fort, têtu, "néantissime" même… Placé seul, sans espoir d’atténuation, au-dessus du gouffre noir qui menace de l’engloutir. Mais "Rien", l’anagramme de nier, n’est pas rien en fait. Il permet d’exister pour témoigner. Témoigner contre une réalité trop violente et, par opposition, il finit par évoquer un "tout" positif. Un tout à l’image d’une autre de ses toiles Oser Eros qui montre un être de lumière, radieux aux formes douces, arrondies, un personnage presque blanc, joyeux, en contraste total avec les autres apparitions, comme une éclaircie après la pluie.
Thanatos - Eros : nous sommes tous habités par ces deux pulsions opposées inhérentes à la vie. Chez Annie Dheur, elles s’imposent impérieusement et viennent travailler notre conscience. A travers elles, l’artiste nous propose des compositions fortes, porteuses d’émotions partagées qui s’expriment à fleur de toile et s’impriment dans la mémoire et le cœur, nous marquant d’une empreinte indélébile. La signature d’un grand talent.
